Et s'il était un poisson, hein ? Est-ce qu'il aurait les écailles frisées ? Est-ce qu'à l'instar de ses babouches, il serait rouge ? Comme poisson. Mais avec une mémoire d'éléphant, plutôt que d'en avoir la trompe. Hum ? C'est tout un tas de questions profondément existentielles qui se tricotent dans l'esprit fatigué du moustachu que se défrise à observer l'océan tout aussi colérique qu'il peut l'être lui-même. A un moment, il lui semble entendre l'albinos l'interpeler. Babouche. Bon sang, il lui arrive même de l'entendre dans son sommeil, parfois. Confondue avec un ronflement, sans doute. Ici le bruit des vagues écumantes. Parce qu'il n'en doute pas, la petite est certainement déjà en train de se siffler une bière. Voire toutes. Et sans doute même que...
- Mais bordel de...
Il s'est pris un truc dans le cul. Ah commencez pas, hein ! C'était dur. Non mais non, arrêtez je vous dis ! Bien plus dur que ça. Mais surtout, il y a cette voix. Comme un coup de tonnerre ! Une voix qu'il ne connait pas. Qui doit être dans sa tête. Et qui le prévient ! Un ange gardien, une sirène au loin avec une voix de camionneur, il n'en sait absolument rien ! Ce qu'il sait, c'est qu'il lui en doit une, parce qu'en se retournant, il fait face à... à...
- Putain d'merde, mais t'es qui toi ?
Un homme. En haillons. Les yeux exorbités, les lèvres retroussées, les dents serrées... Il a sans doute sa gueule juste à côté de "enragé" dans le dico. Il s'est immobilisé un instant, fixant sa proie, peut-être déçu qu'elle se soit retournée. Kafka n'est pas complètement sûr, entre le vent et la pluie, mais il a bien l'impression que le mec tremble. Les nerfs, la peur, la rage ? Il sait pas bien. Et ce n'est que quand le clodo ninja se remet à avancer vers lui que le moustachu remarque que le mec brandit une arme, qu'il pointe vers lui, menaçant. Kafka hausse un sourcil.
- Une... Une pelle à tarte ? Putain d'merde, tu t'fous d'ma gueule ou quoi ?!
Le clodo ninja ne se démonte pas et continue de menacer sa victime avec sa pelle à tarte. En fer, certes. Peut-être un peu aiguisée artisanalement. On peut supposer. Ou espérer, en tous cas, que le bonhomme ne soit pas aussi con que ça ! Puis, arrivé au niveau de Kafka, toujours dos au vide, le clodo ninja, plutôt grand mine de rien, desserre enfin les ratiches.
- TU VAS ME FILER TOUT CE QUE T'AS, FILS DE PUTE !! OU JE TE FAIS BOUFFER TES TRIPES, BÂTARD !! T'ENTENDS ?! TOUT !!!
Ce qui incluait les babouches. Inadmissible. Kafka, ayant levé les mains en signe d'apaisement, hoche la tête, le fixe, puis acquiesce.
- Ok. Calme-toi, gros, j'te file tout ce que j'ai, d'accord ? J'veux pas d'ennui, moi, ok ? Putain d'merde, je te filerais même des pastilles à la menthe si j'en avais parce que j'te jure, c'est pas humain une haleine aussi...
Et BAM ! Le fameux coup de boule surprise de Kafka. C'est à dire celui qui prend l'adversaire par surprise. C'est à dire celui où Kafka se fend lui-même la lèvre et se pète un peu le nez. Un classique. Efficace en diable. Akio pourrait confirmer. Le clodo ninja aussi mais il préfère hurler, reculant d'un mètre ou deux, en se tenant le pif d'une main... De l'autre, il balance sa pelle à tarte vers Kafka. Après, forcément, sans viser, c'est pas top. Kafka regarde passer la pelle à tarte à un bon mètre de lui en haussant un sourcil. Quand son regard revient sur le clodo ninja, c'est pour voir ce dernier lui foncer dessus. Sans doute pour le propulser dans le vide. Là encore, et Kafka en sait quelque chose, quand t'as le pif défoncé, ça pique, ça fait pleurer, la vue se trouble, la raison aussi parfois... Alors avec le déluge en plus, forcément. Bon puis peut-être que le clodo ninja est myope, astigmate, presbyte... Casse-couille, c'est sûr... Ou, tout simplement, complètement à chier dès qu'il s'agit de viser un truc. On sait pas. On saura jamais. Kafka se décale un peu, mais c'est vraiment plus pour la forme qu'autre chose, hein. Pour pas être vexant, quoi. L'autre, forcément, le rate... et va voir l'océan de plus près. L'appel du vide, on en parlait.
Kafka cligne des yeux, une fois ou deux, observant en contrebas, essayant de comprendre ce qu'il vient de se passer. Il est pas sûr d'y arriver totalement. Il se retourne, observe la maison... C'est là qu'il la voit, à sa fenêtre. Juliette. Enfin Providence. Elle n'a jamais aussi bien porté son nom ! Il n'en doute plus, c'était elle la sirène. Ou l'ange gardien à la voix de camionneur, il sait plus bien. En tous cas, c'était elle. Elle qu'il pointe du doigt un moment, là, sous la pluie, avant de filer vers la maison.
Quand il entre, jaillissant de la porte de derrière pour débouler dans le salon, les autres, sans doute encore en pleine discussion ou autre, peuvent admirer un Kafka trempe, tant que ses frisettes ont disparu pour laisser place à de longs et lisses cheveux sombres rappelant déjà plus un slave - de type transylvain, voyez ? -, souriant de toutes ses dents couvertes de son propre sang coulant tout autant de sa lèvre supérieure que de sa narine fendue.
- Elle est où ?! Gamine !
Qu'il gueule vers les escaliers. Escaliers au bas desquels il attend, bras ouverts, pour faire un gros câlin dégoulinant de gratitude pour la Gardienne. Son Ange Gardien ! Son ange gardien albinos. Avec une voix de camionneur. Parfois.